À la croisée des sciences et de la foi : comprendre la remise en question des doctrines religieuses

Dans l’aube incertaine du XXI siècle, rares sont les sujets qui soulèvent autant de débats passionnés que la question de la place des doctrines et dogmes religieux. La Toile bruisse de récits d’anciens croyants, d’essais philosophiques et d’échanges brûlants qui interrogent la légitimité, la pertinence et même la survivance de croyances séculaires.

Pourtant, moins d’un siècle plus tôt, il aurait presque été impensable, dans de nombreux pays, de remettre ouvertement en question ces “vérités” ancestrales. Le monde a changé. Dans ce mouvement s’accélère la remise en cause des dogmes, révélant des dynamiques sociales, culturelles et scientifiques aussi fascinantes que profondes.

Les doctrines religieuses — ces ensembles de croyances établis comme inviolables — ont, pendant des millénaires, structuré les sociétés humaines :

• Identité culturelle : la religion a forgé langues, cultures et codes moraux. Les fêtes, les rites de passage et l’organisation sociale en sont héritées.
• Coercition et cohésion : elle a aussi offert des cadres de vie, parfois rigides, voire oppressants, qui ont permis l’ordre social, mais aussi des conflits violents.
• Transmission : génération après génération, ces fondations étaient rarement contestées : selon une enquête de l’IFOP, en France, la pratique religieuse chez les jeunes de moins de 30 ans a été divisée par trois entre 1981 et 2019.

Mais pourquoi ces dogmes, jadis reflets indiscutés de la Vérité, sont-ils remis en question à une telle vitesse?

La révolution scientifique a profondément bouleversé les systèmes de croyances. Les grandes découvertes, du modèle héliocentrique de Copernic à l’essor de la théorie de l’évolution de Darwin, ont déplacé le centre de gravité de la compréhension du monde hors du champ strictement religieux.

• Théorie de l’évolution : Charles Darwin, en formulant l’idée que les espèces évoluent par sélection naturelle (publiée en 1859), a remis en cause une lecture littérale de la Genèse. Aujourd’hui, seuls 15 % des Américains adhèrent à la théorie créationniste stricte (Pew Research Center, 2019), contre 46 % en 1982 (Gallup).
• Cosmologie moderne : La datation de l’univers, désormais établi à environ 13,8 milliards d’années (Planck Collaboration, 2018), s’oppose aux chronologies bibliques. La notion de big-bang, souvent récupérée dans les discours théologiques, bouleverse néanmoins l’idée d’un univers figé et d’un dessein linéaire.
• Neurosciences et conscience : Les recherches récentes sur la conscience (Projet Human Brain, 2019) questionnent la place de l’âme telle que formulée dans la plupart des traditions religieuses.

La convergence des sciences dures et de la philosophie invite à une approche critique et comparative de la connaissance. Les doctrines religieuses ne sont plus reçues comme des absolus, mais comme des récits parmi d’autres, soumis à validation, à contradiction ou à réinterprétation.

Un facteur essentiel dans la remise en cause des dogmes est la confrontation directe à la diversité religieuse. Là où hier, la plupart des sociétés vivaient en vase clos (une seule religion, peu de contacts extérieurs), la mondialisation et Internet diffusent instantanément des perspectives antagoniques.

• Comparaison des récits : Selon la World Values Survey (2022), 73 % des jeunes Européens affirment que “toutes les religions se valent”. La variété des mythes fondateurs, des textes sacrés et des pratiques ouvre sur le relativisme.
• Accessibilité de l’information : La possibilité de consulter des traductions de textes sacrés, de lire les débats de théologiens ou les critiques d’anciens croyants, permet un accès sans filtre à des opinions autrefois cachées ou proscrites.
• Communautés virtuelles : Les plateformes Reddit, Quora ou les groupes Facebook rassemblent des millions de personnes explorant leur spiritualité en dehors des cadres institutionnels, facilitant un support mutuel pour ceux qui doutent ou réévaluent.

À chaque époque, des crises internes aux institutions religieuses nourrissent le scepticisme. L’accumulation de scandales (abus sexuels, corruption, conflits d’intérêts) ébranle la confiance des fidèles.

• Le rapport Sauvé, publié en 2021, recense près de 330 000 victimes d’abus sexuels dans l’Église catholique de France depuis 1950.
• À l’échelle mondiale, la méfiance envers le clergé et les autorités religieuses s’est accrue : selon un sondage Ipsos de 2022, seuls 40 % des Français font désormais confiance à un leader religieux (contre 55 % en 2000).

De telles révélations bousculent la croyance que les institutions incarnent la volonté divine. Les dogmes apparaissent non seulement comme discutables, mais parfois comme instruments de pouvoir, détachés de leur vocation spirituelle originelle.

Un bouleversement silencieux se dessine : une migration des religions institutionnelles vers une spiritualité personnalisée. Le passage d’un Grand Récit imposé à chaque individu vers une mosaïque de croyances vécues comme un voyage intime.

• Déclin des institutions, essor du spirituel : Selon le Pew Research Center (2017), la part d’“inreligieux” (personnes se déclarant sans appartenance religieuse) a franchi 26 % aux États-Unis, chiffre en croissance constante depuis trois décennies.
• Montée de l’agnosticisme et du déisme : 13 % des Français s’identifient comme agnostiques (Ifop, 2020), soit plus que toutes les autres minorités religieuses. Beaucoup explorent, décodent et réinventent leur rapport au sacré.

La quête ne s’arrête pas ; elle change de langue, de forme et de direction. Psychologie positive, méditation, astrologie, quête de sens à travers l’art ou la science, s’entremêlent dans un paysage où la verticalité de la foi (de Dieu à l’humain) glisse vers l’horizontalité de l’expérience (de soi à l’univers).

Les grandes doctrines religieuses se trouvent parfois en tension avec les valeurs contemporaines — droits humains, égalité de genre, libertés individuelles :

• LGBTQIA+ et modernité : Une étude ILGA World (2022) révèle que dans 66 pays où l’homosexualité est criminalisée, la plupart invoquent des justifications religieuses. Pourtant, la montée des droits LGBT pousse les croyants à reconsidérer l’interprétation des textes sacrés.
• Écologie spirituelle : L’engagement écologique — majoritairement séculier, mais en plein dialogue avec certaines traditions (encyclique Laudato Si’, Bouddhisme engagé) — redessine la mission spirituelle collective.
• Égalité hommes-femmes : La participation des femmes aux principales fonctions religieuses progresse lentement : en 2023, 37 % des pasteurs protestants aux États-Unis sont des femmes, contre 2 % en 1960 (Barna Group).

Face à ces bouleversements, certains adaptent fidèlement leur interprétation. D’autres, déçus par le manque d’évolution, se détournent ou créent de nouveaux mouvements — flexibilité qui, paradoxalement, fragilise la cohérence des dogmes d’origine.

Au cœur de cette remise en cause généralisée, certains voient une déliquescence. On peut y percevoir aussi une extraordinaire vitalité, un ferment de créativité collective. Jamais autant de personnes n’ont eu les moyens de réinterroger l’origine de l’univers, le sens de la vie, la nature de la conscience.

Loin d’un effacement, c’est souvent une complexification : la science n’annule pas la spiritualité, elle l’inspire parfois de nouveaux récits, plus vastes, plus partagés. Physique quantique et mystique, neurosciences et méditation dialoguent, nourrissent de nouvelles formes de foi ouverte.

• Conscience et interdépendance : Les travaux de Francisco Varela sur la neurophénoménologie illustrent ces ponts possibles entre science et méditation (voir Varela, Thompson & Rosch, The Embodied Mind, 1991).
• L’éthique partagée : De Confucius à Spinoza, et jusque dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, se dessine la possibilité d’une morale universelle, transcendant les appartenances et invitant à la cohabitation.

À l’heure où tout semble incertain, remettre en question les dogmes n’est ni rejet simpliste du passé, ni adhésion aveugle au progrès. C’est l’exercice lucide de la pensée, la quête d’une vie plus ajustée, plus consciente, plus vaste. Une opportunité d’actualiser l’intuition spirituelle dans la lumière de la science, sans renoncer à la poésie de l’existence.

Peut-être n’avons-nous jamais eu autant besoin de spiritualité, mais d’une spiritualité qui ose la liberté, l’écoute et l’interrogation perpétuelle. Là où l’humain s’invente, se questionne, se relève — un chemin sans fin, entre les étoiles et les terres intérieures.

• Sources : Pew Research Center, IFOP, World Values Survey, Ipsos, ILGA World, Barna Group, Planck Collaboration, Projet Human Brain, Varela et al. (1991).