Biotechnologie et quête de l’immortalité : des promesses fascinantes aux risques éthiques majeurs

Avant d’aborder les aspects éthiques, il est essentiel de comprendre où en est réellement la science. La « course à l'immortalité » mobilise des géants technologiques comme Google, à travers sa filiale Calico, ou des entreprises biotechnologiques comme Altos Labs, financée par des personnalités telles que Jeff Bezos. Ces initiatives visent à prolonger radicalement la durée de vie humaine en ciblant notamment le vieillissement cellulaire, une des principales causes de la mort biologique.

La reprogrammation cellulaire, qui consiste à régénérer les cellules vieillissantes en inversant leur "horloge biologique", s’avère particulièrement prometteuse. Des résultats préliminaires sur des souris montrent qu’il est potentiellement possible de non seulement ralentir, mais aussi inverser certains processus liés au vieillissement (source : Nature, 2021). Cependant, à mesure que ces techniques franchissent des étapes cruciales, le fossé entre science et éthique se creuse inexorablement.

La première faille éthique majeure dans la quête de l'immortalité est sans surprise liée aux inégalités. Si nous parvenons à maîtriser des technologies capables d'allonger considérablement la vie humaine, la question devient : qui y aura accès ?

Dans un monde déjà marqué par des disparités sociales et économiques profondes, il semble peu probable que ces prouesses scientifiques soient disponibles pour l’ensemble de l’humanité. Comme pour beaucoup d’innovations médicales, les premiers à bénéficier de ces avancées seront probablement les élites économiques, accentuant les écarts de richesse et d'espérance de vie. Les riches pourraient devenir pratiquement « immortels », tandis que le reste de la population resterait limité par sa condition biologique naturelle.

Au-delà de l'injustice, cette fracture pourrait engendrer des tensions sociopolitiques considérables, avec des conflits entre groupes favorisés et non-favorisés, et un bouleversement des structures sociales déjà fragiles.

Un autre risque crucial réside dans le poids que l’immortalité imposerait à un monde aux ressources limitées. Les projections actuelles sur la population mondiale prévoient une croissance continue, atteignant 10 milliards d’habitants d'ici 2050 (source : ONU). L’immortalité, même si elle ne concernait qu’une minorité, amplifierait considérablement les enjeux écologiques : épuisement des ressources, pollution, et déséquilibres globaux.

Un des arguments souvent avancés est que des technologies futuristes comme l’intelligence artificielle et les énergies renouvelables pourraient permettre de pallier ces problèmes. Mais même si ces solutions venaient à maturité, l'immortalité poserait des questions profondes sur notre relation à la Terre et au vivant. Sommes-nous prêts à endosser la responsabilité morale d’un tel changement ?

Au-delà des questions matérielles, le défi éthique ultime de l'immortalité pourrait résider dans ce qu’elle ferait de nous : en cherchant à dépasser notre mortalité, risquons-nous de perdre notre humanité ?

Nos vies sont en grande partie façonnées par la finitude. La conscience de la mort éclaire nos actions, oriente nos priorités et donne un sens à nos quêtes personnelles et collectives. Si la mort devient optionnelle, comment réagirons-nous face au poids potentiellement infini d’une existence perpétuelle ? Certains philosophes, comme Jean-Pierre Dupuy, évoquent le paradoxe d’un individu devenu incapable de trouver un sens à sa vie dans un univers sans limites.

De plus, l'idée de transférer la conscience humaine dans des systèmes numériques (comme le suggèrent les projets de "Mind Uploading") soulève non seulement la question de l’identité mais aussi celle du droit : qui contrôlerait ces "états de conscience" numérisés ? Une telle technologie pourrait ouvrir la voie à de nouvelles formes d’exploitation, voire de manipulation.

Alors, que faire face à ces défis ? Les avancées technologiques humaines semblent difficiles à arrêter, tant les enjeux économiques et politiques sont puissants. Cependant, il est essentiel de créer un cadre éthique et réglementaire pour éviter que ces innovations se développent sans garde-fou.

Plusieurs propositions surgissent dans la bioéthique concernant les biotechnologies avancées :

• Transparence : Les entreprises et instituts de recherche œuvrant sur l’immortalité devraient impérativement communiquer sur leurs méthodes et leurs objectifs, afin de garantir un contrôle démocratique.
• Accès équitable : Si ces technologies deviennent une réalité, il serait primordial de développer des mécanismes d’égalité d’accès, sur le modèle d'une couverture universelle de santé.
• Soutenir la recherche éthique : Canaliser les financements vers des projets œuvrant aussi bien pour l’être humain dans sa diversité que pour les écosystèmes planétaires dans leur équilibre.

La question se pose également de savoir si certaines lignes rouges – comme la modification génétique irréversible des embryons humains ou la numérisation de la conscience – ne devraient pas être imposées par des accords internationaux, similaires à ceux existant sur les armes chimiques.

La quête de l'immortalité est bien plus qu'un défi scientifique ; elle est un tournant philosophique et moral pour l’humanité. Que cela nous pousse à réévaluer nos aspirations, à réfléchir sur la nature de notre être et sur notre rôle au sein de l’environnement global. Il ne s'agit pas nécessairement de stopper le progrès, mais de l’accompagner avec sagesse et discernement.

Saurons-nous, au sommet de cette Tour de Babel biotechnologique, choisir la voie de l’harmonie – plutôt que celle de la domination ? Ce n'est peut-être pas qu'une question de technologie, mais bien une interrogation sur ce que nous désirons devenir, en tant qu'espèce et en tant qu'individus.